Ronde et pots de peinture

Hello,

J'avais quitté le métier quelque temps et oublié le forum, j'y suis revenu (dans le métier) par la force des choses et ici par l'envie de témoigner que rien ne changera dans le métier.

Bref, Paulo, mon employeur depuis presque un an, me tannait de reprendre une activité mal rémunérée sinon il me coupait mes maigres allocations dument épargnés au fil des ans. J'ai un peu baroudé après avoir quitté la sécurité mais en toute franchise, vider des sacs de café venant du monde entier, c'est pas vraiment des destinations à conseiller.
J'ai donc repris dans la sécurité privé pour une boite que je ne citerais pas. Dans une usine que je ne citerais pas dans une région que je ne citerais pas..
J'ai repris il y a trois jours. Là, je suis en repos 5 jours (un cadeau de bienvenue du patron, je comprends mieux son sourire goguenard après cette première vacation ) et j'ai pu retourner dans ma ville d'origine pour me ressourcer... avant de partir en croisade. Ou de me tirer définitivement du métier.

Mais commençons par le commencement.

Je me rappelle assez vite des bases du métier:coeff 130 ads confirmé qui permet juste de survivre, formation certainement faite à l'arrache, glandage entre deux rondes et café/clope sur 12 heures, heures décalées qui me tueront juste après la retraite (ou avant), laxisme et défaitisme et chefs insolents aux dents acèrées. Ça n'a surement pas changé.

Dans un endroit qui prête à l'évasion, sorte de gloubi boulga de passerelles métallique encombrées et de machines qui débitent des décibels à la chaine, mon nouveau futur collègue me forme de nuit. Les rondes sont plutôt simplistes et les conseils du genre ... sommaires. Mais tout de même inquiétant: "en gros, fais le strict minimum mais en pro, on change tout le temps de boite donc on s'en fout de notre boite actuelle, nous on veut juste rester et hormis les gros soucis, tu dis rien quand on te dis de faire tel truc, ici c'est la planque, fais pas de vague". Ça marche comme ça ici, ça fait onze ans que je suis là, je connais tout le monde, le directeur me serre la pogne.
Bon, ok, pourquoi pas. Après tout, le milieu n'a pas certainement pas changé d'un iota et ça me manquait ce formalisme de façade.

Première ronde, avec, nommons le "Jojo", la cinquantaine dégarni et le souffle rauque; je découvre les lieux, bruyant de prime abord. Ça crache de partout et je cherche désespérément des bouchons d'oreille afin d’atténuer cette gène auditive. Jojo m'en trouve dans un tiroir et on commence à déambuler. dans un environnement mal éclairé (faut bien faire quelques économies).
Premier pointeau. Bon, ok, il faut se glisser derrière des palettes pour y accéder. Je suis trop enrobé (pas obèse j'insiste) pour passer entièrement dans un espace de 20 cm, Jojo me rétorque que c'est pas grave, de toute façon, personne regarde les rondes, on le pointe pas celui là..
Je tombe des nues. Est-ce le site dont j'ai toujours rêvé ? Où est le mini bar et la télé ?

Après sept huit pointeaux dirions-nous anecdotiques, Jojo se dirige vers un bureau de contremaitre ou chef de production, sort un trousseau de clé et ouvre la porte et en sort un panier en acier, du genre ceux permettant de transporter des bouteilles. V'la autre chose, kesskivafoutre avec ce truc ? Et on repart en ronde. Au bout d'une cinquantaine de mètres, Jojo se dirige vers un tiroir et en sort un pot horodaté, ptet 1 litre, j'en sais trop rien. "C'est de la peinture" dit-il fièrement. Il le met dans son panier. Et on reprend notre chemin. J'ai envie de lui demander ce pourquoi il fait ça mais sur le coup, je laisse faire. Il m'explique: tu fais ça, tu ouvres là, tu prends ça et tu repars. Et ça lui reprend quelques pas plus loin.
La ronde à travers l'usine tire à sa fin (2 km, je pense) et Jojo transporte son panier garni de pot de peinture, six pots plus précisément.
Et j'apprends le but de cette étrange manœuvre alors qu'on arrive vers un endroit appelée "local analyse". Là, il dépose le tout avec maestria dans une sorte de container et on s'en va.
La sureté, c'est un peu mis de coté. Jojo n'a pas tiqué sur le RIA sorti de son dévidoir, la porte ouverte sur l'arrière cour assombrie, le véhicule personnel garé sur l'emplacement pompier, la pile de carton devant la colonne sèche, les clopes au sol. La ronde sert surtout à récolter les échantillons destinées aux analyses. Par contre, il transporte super bien le pot de peinture mon Jojo, on s'y croirait.

Interloqué, je demande le pourquoi ? Le gardien, de nuit, récolte dans l'usine les divers pots parce que la boite sous traitante qui le fait en plus de faire d'autres trucs, ben ça ne bosse pas la nuit et ça arrive plus tard que les laborantins. Comme, les seuls larbins de dispo n'ont pas grand chose à faire, on s'est dit qu'ils pouvaient s'y coller. Pas les rares gars de quart qui travaillent pour l'usine et qui glandent sur ps4 entre deux ouvertures de vanne, non, la boite de sécurité privée va le faire, quitte à la priver de TV entre deux pauses. Seulement, au fil d'échanges anémiques avec un Jojo aussi avare en informations utiles qu'un BFM un jour de neige, j'apprends qu'il ne sait pas vraiment ce qu'il transporte. Mais, moi, je les ai bien vu ces étiquettes "risques chimique CMR" collées un peu partout sur des cuves. Et c'est une phrase illustrant un fatalisme certain qui clos la conversation: c'est comme ça depuis longtemps.

Je crois que le coup de massue est venu vers les deux heures du mat' quand il ma invité à le suivre après avoir pris trois-quatre clés de voiture: viens, c'est l'heure de nettoyer les bagnoles de service de l'usine.
Non, pas là, en fait, plutôt vers 6 heures quand le livreur est venu déposer des fournitures dont des casiers de bureau et qu'il a fallu les réceptionner puis les stocker dans un coin reculé avec un chariot (sans habilitation CACES, faut pas déconner). Bien rangées devant un pointeau, faut trouver un point positif dans tout ça. Pendant ce temps, le ssi (primaire et d'époque révolue si j'en crois la couche de poussière ) hurlait à la mort. Un dysfonctionnement courant du même détecteur incendie dixit Jojo qui, fatigué avec ses onze heures dans les pattes, peine à stopper l'alarme sonore. Bien entendu, on n'ira pas faire une levée de doute, après tout, si on voit les pompiers débarquer en mode pinpon, ils nous l'apprendront sans qu'on ait à bouger un seul pouce de pied.

Bref, tout ce texte pour une seule réflexion: je vais me barrer.
Je suis déjà découragé et ne veut pas révolutionner cette prestation. J'en ai pas la force ni l'envie et j'en ai rien à foutre. J'ai beau avoir un humour assez féroce et prendre les choses à la rigolade, ça me désole de me taper cinquante borne pour transporter des échantillons, laver des bagnoles ou vider des palettes et mettre de coté le pourquoi je suis payé, l'apport d'une expérience dans la sureté que j'ai emmagasiné au fil des années.
Allez, courage Jojo et les autres que je connaitrai jamais.
J'arrive Paulo.

ps: le délit de marchandage est-il avéré ?

tu est tomber avec une boite de rigolos perso pas de sa dans mes équipes un type comme ton collegue avec moi c'est dehors direct.

OMG

Histoire bien glauque mais formidablement contée heureusement pour moi , que des bureaux et trois niveaux de parking au cours de mes rondes nocturnes

Encore un Jojo il y en a encore trop.
En tout cas tu pourras toujours écrire des romans, j'avais l'impression de faire la vac avec toi !