Menace mafieuse versus menace islamiste, laquelle la plus facile à parer ?

AFFAIRES ÉTRANGÈRES SALVATORE ALOÏSE, CORRESPONDANCE D'ITALIE

Député Crocetta, absent pour cause de Mafia

MENACÉ DE MORT PAR LA MAFIA, UN ÉLU EUROPÉEN NE POURRAIT ÊTRE PROTÉGÉ EN BELGIQUE ? L'INTÉRESSÉ SE DEMANDE POURQUOI.

Rosario Crocetta est-il en passe de devenir un député européen fantôme ? A Bruxelles, on ne le voit jamais. Cet ancien maire de Gela, en Sicile, a été élu en juin dernier sur les listes du Parti démocrate^-. Serait-il un absentéiste ? Pas du tout, il cherche juste à rester en vie. Rosario Crocetta est en effet menacé de mort par la Mafia pour son engagement sans faille contre l'organisation criminelle. Mais alors qu'en Italie, et en France lorsqu'il se rend à Strasbourg à l'occasion des sessions plénières, il est protégé par des gardes du corps, il n'a droit dans la capitale belge à: aucune sorte d'attention policière.

Un contraste saisissant avec les premières images d'un documentaire qui lui a été consacré, Le Maire, l'Evêque et le Boss, où on le voit sur le quai du port de Gela, encadré physiquement par six policiers qui font une sorte de muraille humaine autour de lui. En Italie, le maire anti- Mafia est devenu un héros, un modèle dans la lutte contre Cosa Nostra. Pas en Belgique, où il devrait circuler seul ; la cible idéale de ce que l'élu appelle une «fatwa mafieuse ».

Jusqu'ici, s'il a pu se rendre trois fois à Bruxelles, c'est uniquement grâce à la disponibilité des autorités italiennes, qui avaient dépêché un policier pour le suivre dans ses déplacements. «Imaginez les scènes cocasses, lance Rosario Crocetta, aux contrôles de sécurité dans les aéroports, avec le policier obligé de déposer son arme... Mais Rome s'est impatienté : la question, juge-t-on, doit être réglée par Bruxelles. Le policier est resté en Italie.

Or les Belges, semble-t-il, se refusent à comprendre. «Le pire, c'est qu'ils ne disent pas non. Ils sont simplement réticents : ils en sont même arrivés à me demander plus de précisions sur ceux qui me veulent du mal. Comme si je pouvais leur fournir noms et prénoms de mes tueurs potentiels... », Explique ce bouillant Sicilien, qui calcule que pas moins de 900 membres de l'illustre organisation criminelle italienne ont fini sous les verrous grâce à ses dénonciations.

La perception du danger ne passerait-elle pas les frontières ? «De toute évidence, il y a un manque de compréhension du phénomène mafieux en dehors de l'Italie. Le problème, c'est que la Mafia, elle, ne connaît pas de frontières. Je le sais. La Mafia ne pardonne jamais. Tôt ou tard, elle aura ma peau, je ne me fais pas d'illusions.»

Ce manque de perception du danger est lourd à supporter. D'autant que certains blogs en Belgique se demandent si Rosario Crocetta n'en fait pas une question de prestige. « //y a quelque temps, en Italie, un étranger, me voyant encadré de policiers, m’a demandé si j'étais une star hollywoodienne. Je m'en passerais bien, moi, de l'escorte. » Mais selon lui, le problème est ailleurs : « Que quelqu'un prenne la responsabilité de dire clairement qu'en plein cœur de l'Europe, on n'arrive pas à protéger l'un de ses représentants.» C'est pourquoi il a écrit au président du Parlement pour lui décrire sa situation. En attendant, ironie du sort, un autre élu italien du Parlement européen est protégé, lui. Il s'agit de Magdi Allam, un musulman qui s'est converti au catholicisme, s'attirant les menaces d'extrémistes islamistes. Depuis, il est suivi dans tous ses déplacements par quatre gardes du corps. Leçon de l'histoire : apparemment, en Belgique, les menaces de l'intégrisme musulman pèsent plus que celles de la Mafia sicilienne. o

LE MONDE MAGAZINE - 17 OCTOBRE 2009

la menace mafieuse est plus facile à gérer que la menace islamiste,du moins pour le service de sécurité(il a plus de chance de rester en vie...).