Dans l'ombre de Jean-Marie Le Pen
Alors que le leader du FN quitte, ce week-end, la présidence de son parti, Thierry Légier, garde du corps et gardien des secrets de Jean-Marie Le Pen depuis près de vingt ans, se confie. Pour la première fois.
Une page se tourne au Front national et Thierry Légier n'arrive pas à s'y résigner. L'idée que son patron quitte le devant de la scène et cède ce dimanche sa place de président du Front national, qu'il occupe depuis trente-huit ans, ne l'avait jamais vraiment effleuré. «Je m'étais tellement habitué à ce qu'il soit reconduit à chaque congrès. J'ai de la tristesse. Tout est passé trop vite», lâche son garde du corps, d'une voix de taiseux peu habitué à laisser filtrer ses états d'âme. Nombreux sont ceux, pourtant, qui ont cherché à le faire parler. Des éditeurs lui ont proposé d'écrire un livre. Il a toujours répondu par la négative. Mais maintenant que l'heure approche, l'homme, envahi par la nostalgie, conscient que les plus belles années de sa vie professionnelle sont désormais derrière lui, consent à se livrer par bribes.
Rares sont ceux, en effet, qui connaissent aussi bien Jean-Marie Le Pen que Thierry Légier. Depuis près de vingt ans, ce militant fidèle suit le président du FN comme une ombre, comme du lichen s'accroche à un menhir. Où qu'il aille, en meeting, sur les routes de cam pagne, en France ou à l'étranger, sa grande carcasse de 1,90 mètre pour 97 kilos, ses épaules larges, son crâne chauve, ses tempes rases et ses yeux bleus se détachent sur les clichés, au côté de celui qui a été longtemps l'ennemi politique numéro un.
… le protège des échauffourées de la campagne de 1997 à Mantes-la-Jolie… Crédits photo : JACK GUEZ/AFP
Mais Thierry Légier n'est pas seulement le garde du corps de Jean-Marie Le Pen, il est également le complice des bons et des mauvais jours, celui qui trinque avec le patron du FN les soirs de victoire tard dans la nuit, dans sa maison de Rueil-Malmaison, et qui assiste à ses colères et son amertume après les défaites et les revers. Celui qui délaisse parfois sa femme et son fils de 6 ans pour accompagner Le Pen sur les plages de l'île Maurice, de la Turquie ou de la République dominicaine...
Les deux hommes pratiquent le tir une fois par mois dans un club de l'avenue Foch, tenu par l'ancien garde du corps du général de Gaulle, le commissaire divisionnaire Raymond Sasia. A l'occasion, ils soulèvent de la fonte ensemble. Car Jean-Marie Le Pen, en dépit de ses 82 ans, continue à s'entretenir physiquement. «Il y a trois ans, raconte Légier, Jean-Pierre Elkabbach, qui s'entraîne dans le même club que moi, me reconnaît et m'apostrophe: "Jean-Marie Le Pen pratique-t-il toujours la culture physique?"
Quelques jours plus tard, au sortir d'une interview matinale à Europe 1, le journaliste et le président du FN feront un concours de pompes, en bras de chemise, dans le bureau d'Elkabbach. Ce dernier, paraît-il, en sera pour ses frais : le vieux leader d'extrême droite est une force de la nature qui adore les défis.
Thierry Légier est surtout le témoin privilégié des rencontres secrètes du leader frontiste. Un homme de confiance. Presque un membre de sa famille, que Le Pen a imposé aux dernières régionales en position éligible en Haute-Normandie. Comme une récompense pour services rendus.
Thierry Légier a 27 ans lorsqu'il prend son service auprès de Le Pen, en août 1992, pour remplacer Robert Moreau, alias «Freddy, le Bourreau de Béthune», une ancienne gloire du catch des années 60, qui a fait les belles heures des soirées de l'ORTF que commentaient Claude Darget ou Roger Couderc. Un colosse qui vous broyait la main en vous saluant, une gueule cassée, des oreilles en chou-fleur qui feraient passer Légier pour un premier communiant. Et pourtant, de son côté, il a roulé sa bosse. Engagé volontaire au 3e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Carcassonne, Thierry Légier a servi en Nouvelle-Calédonie en 1985, en République centrafricaine et au Tchad au début de l'opération Epervier. Lorsque son contrat s'achève avec l'armée, il se tourne vers le milieu de la sécurité.
En Irak, son 357 magnum lui est confisqué quelques heures
Le commandant Paul Barril, l'ancien patron du GIGN, l'embauche pour protéger des membres de la famille royale d'Arabie saoudite, en villégiature sur la Côte d'Azur, puis des industriels, des patrons du CAC 40, des stars du cinéma. Pendant le Festival de Cannes, il sera même le bodyguard de Charles Bronson ! Voilà pour son CV de jeune homme.
… plus détendu avant un meeting à Saint-Denis. Crédits photo : Jean-Michel TURPIN//fedephoto
Mais l'essentiel de sa vie, il va le passer avec le président du FN. «Mes copains, à l'époque, me disaient: "Tu ne vas pas tenir six mois". Et pourtant, dix-huit ans plus tard, je suis toujours là et je ne regrette rien.» Avec Jean-Marie Le Pen, il a parcouru des dizaines de milliers de kilo mètres en voiture, fait le tour du monde en avion, visité plus de cinquante pays. Dans des situations parfois hallucinantes. En mai 1996, Le Pen l'entraîne à Amman. Objectif : rallier Bagdad pour rencontrer Saddam Hussein. Une vieille bagnole américaine les attend en bas de leur hôtel. Ils filent incognito à travers l'interminable route des châteaux du désert, contraints de s'arrêter toutes les trois heures pour faire refroidir le radiateur. Au poste frontière, on lui confisque pendant quatre heures le Smith &Wesson 357 Magnum qu'il porte sur lui, avant de les autoriser à reprendre la route vers la capitale irakienne, toujours sans escorte. Au terme de leur équipée, Tarek Aziz, le n° 2 du régime baasiste, les accueillera avant de conduire seul le président du Front national dans un palais du dictateur.
Avec Thierry Légier, Le Pen a rencontré tous les parias, tous les infréquentables de la terre. «Il aime se faire sa propre opinion sur les gens plutôt que de s'en tenir aux seules sentences des médias.» C'est ainsi qu'ils ont traversé la Serbie pour se rendre à Belgrade et rencontrer, dans des caves parfois, des hommes que toutes les polices du monde recherchaient, notamment Vojislav Seselj, le président du Parti radical serbe. Thierry n'en dira pas plus. Il ne voudrait pas déflorer tous les secrets que Jean-Marie Le Pen réserve pour ses Mémoires. On le presse de questions. «Patience, glisse-t-il. Tout vient à point pour qui sait attendre...»
La scission des mégrétistes, fin 1998 ? Légier ne veut se souvenir que d'une période étrange, où les gens qui se croisaient au Paquebot se jaugeaient comme dans la série Les Envahisseurs. Il évoque le renforcement du dispositif de sécurité du Paquebot en état de siège. Pour le reste, motus et bouche cousue.
Il ne dira pas un mot non plus sur les visiteurs de Montretout, les politiques, les artistes, les acteurs qui fréquentèrent la table des Le Pen. On s'essaye à lui soutirer quelques noms. Thierry Légier sourit, mais ne confirme pas. Il n'était pas encore garde du corps de Le Pen lorsque ce dernier rencontra Jacques Chirac pendant l'entre-deux-tours en 1988, mais il se rappelle un appel mystérieux en 1993, pendant la campagne des législatives. Lui et son patron sont en voiture lorsque le gros téléphone cellulaire de Le Pen sonne.
« -Bonjour Jean-Marie.
- Excusez-moi, je ne vous connais pas.
- C'est moi, Bernard!»
De quoi accréditer la thèse des contacts réguliers que le président du FN et Bernard Tapie entretenaient, loin des poses belliqueuses qu'ils prenaient sur les plateaux de télévision. «Toute la difficulté, reconnaît Thierry Légier, est de protéger cet homme qui n'a peur de rien ni de personne, qui préfère avancer plutôt que de battre en retraite et se compare volontiers à Du Guesclin.» A la moindre agression, Jean-Marie Le Pen se mue en officier de légion. «Quand on est son garde du corps, il faut pouvoir gérer ce genre de caractère impétueux.»
Ce n'est pas sans risque. Au plus fort des manifestations anti-Front national, Jean-Marie Le Pen se fait fort de pouvoir se déplacer partout où bon lui semble. Quitte à se frayer un chemin au milieu des opposants à l'aide de ses poings. C'est ce qui se produit le 30 mai 1997, pendant la campagne des législatives à Mantes-la-Jolie. Cela lui vaudra deux ans d'inéligibilité.
« A Cambridge, on s'est fait casser notre véhicule par les manifestants »
Chargé de la sécurité de Le Pen depuis 18 ans, Thierry Légier poursuivrait bien sa mission au côté de Marine. Crédits photo : Jean-Michel TURPIN//fedephoto
Plusieurs fois, son garde du corps reconnaît qu'ils l'ont échappé belle. A l'occasion d'un meeting à Toulon, en 1998, un homme perché sur un balcon a tenté d'atteindre le président du FN à l'aide d'un harpon. A Lille, avertis par la police d'une menace d'attentat, ils sont repartis l'arme au poing, toutes sirènes hurlantes, précédés de trois voitures de la BAC jusqu'à Paris. «Jean-Claude, le chauffeur du président, nous a sortis plus d'une fois du pétrin grâce à sa conduite extraordinaire.» A l'étranger, ils ont aussi connu des frayeurs. «A Cambridge, on s'est fait casser notre véhicule par des mani festants. On a juste eu le temps de sauter dans un taxi qui n'a pas compris son malheur.»
Depuis, les choses se sont calmées. Il est rare qu'ils soient encore accueillis «à coups d'œufs, de jets de pierres et de pommes de terre incrustées de lames de rasoir»... Pour un peu, le gorille de Le Pen en viendrait presque à regretter la campagne présidentielle de 2002, les poussées d'adrénaline au moment de sortir de la voiture pour s'assurer que la voie est libre. Comme si, depuis quelque temps, il en était réduit à de la figuration. Avec Marine, si elle veut bien, il serait prêt à rempiler pour vingt ans...
source : le figaro
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